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Et si l'Einstein du XXIe siècle était une machine ?

Et si l'Einstein du XXIe siècle était une machine ?

Imaginez un génie capable de résoudre en quelques heures des problèmes, lesquels prendraient des siècles. Un génie qui n’a pas besoin de dormir ou de se reposer, qui ne ressent aucune émotion, et qui ne possède même pas une enveloppe corporelle. A la base, le génie est humain mais celui du futur risque de ne pas l’être. Ce n'est pas de la science-fiction ! Nous sommes sur le point que cela devienne une réalité.

Le génie a toujours été présenté comme profondément humain. Ce dernier a la capacité de découvrir ce que personne n'a jamais vu auparavant, cette étincelle unique qui a permis entre autres à Einstein de révolutionner la physique. Mais aujourd'hui, quelque chose d'extraordinaire est en train de se produire : le prochain génie de notre siècle est en passe d’être une intelligence artificielle.

Google vient de dévoiler "The Co-Scientist" qui n’est pas juste un outil mais bien un véritable partenaire de recherche. En effet, cette IA ne se contente pas d'analyser des données puisqu’elle propose également des théories inédites, conçoit des expériences révolutionnaires, et fait des découvertes que nous n'aurions peut-être jamais faites sans son aide. Rendez-vous compte : cette dernière a permis de résoudre 10 ans de recherche sur la résistance aux antibiotiques en un temps record (exactement en 72 heures) en comprenant les mécanismes de transfert d’ADN chez les bactéries, lequel est un processus clé dans la propagation de la résistance aux antibiotiques.

Et le plus vertigineux? Elle apprend en secondes ce qui nous prend des années. Elle est capable d’explorer simultanément des millions de possibilités quand nous n'en considérons que quelques-unes. Elle ne connaît ni fatigue, ni préjugés, et ni blocages créatifs. Elle transforme tout simplement notre vision de la découverte scientifique aussi radicalement qu'Internet à son époque  a transformé notre accès à l'information.

Dans cette vidéo, nous allons explorer l'un des plus grands bouleversements intellectuels de notre histoire : sommes-nous en train d'assister véritablement à la naissance d'une intelligence, laquelle dépassera fondamentalement la nôtre? Une intelligence qui serait apte à résoudre les mystères les plus profonds de l'univers avant même que nous ayons fini de formuler les questions quant à ces mystères ?

Et alors même que ces machines deviennent de plus en plus extraordinairement performantes, qu’adviendra-t-il de notre place dans un monde où l'Einstein du XXIe siècle pourrait bien être une simple intelligence artificielle?

L'IA révolutionne la recherche scientifique

Imaginez un instant : vous entrez dans un laboratoire ultramoderne. Mais le chercheur le plus brillant de l'équipe ne porte pas de blouse blanche, ne tient pas une tasse de café à la main et ne possède carrément pas de corps. En réalité, vous vous trouvez en présence de "The Co-Scientist" de Google, un esprit artificiel qui redéfinit entièrement ce que signifie "faire de la science".

Cette intelligence ne se contente pas d'analyser des données. Elle va même jusqu’à “dévorer” littéralement la connaissance humaine. Des milliers d'articles scientifiques sont alors absorbés en une fraction de seconde. Là où nous ne verrions que des points isolés de connaissance, elle perçoit des constellations entières de connexions, des concepts liés entre eux ouvrant de nouvelles perspectives.

Mais son véritable pouvoir est ailleurs. Elle réalise ce qu'on croyait réservé au génie humain : elle imagine l'inconnu, innove et découvre. Par exemple, elle se pose la question :  “Et si cette molécule, jamais testée avec cette enzyme, créait une réaction que personne n'a anticipée ?” Ce n'est plus que de l'analyse. C'est bien de l'intuition scientifique artificielle. 

Plus impressionnant encore : elle conçoit l'expérience complète afin de tester ses hypothèses. A savoir : le protocole détaillé, les variables contrôlées et les méthodes statistiques optimales. C'est comme collaborer avec un Einstein qui aurait mémorisé chaque article scientifique publié et qui en plus ne dormirait jamais.

"The Co-Scientist" de Google s’insère dans une série d’IAs qui ont déjà donné des résultats spectaculaires et indéniables, mais va un cran plus loin.

Tel est le cas par exemple, en 2021, avec AlphaFold de DeepMind qui a résolu l'un des plus grands mystères de la biologie moderne en prédisant avec précision la structure de plus de 200 millions de protéines. Un problème qui résistait aux plus grands cerveaux humains depuis un demi-siècle lequel fut résolu en quelques mois par une intelligence qui n'existe que dans le monde digital.

De son côté, au MIT, l'IA G2Retro transforme radicalement la création de médicaments. Ainsi, elle génère des molécules entièrement nouvelles et identifie des candidats-médicaments prometteurs en quelques heures, un processus qui prenait autrefois des années aux équipes humaines les plus brillantes.

L'astronomie n'est pas en reste. Une IA scrutant les données brutes du télescope Hubble a découvert des signatures de galaxies fantômes, des signaux tellement subtils, et si profondément enfouis dans le bruit cosmique, qu'aucun œil humain ne les avait jamais repérés.

C’est un fait. Nous vivons un moment charnière. En effet, ces intelligences artificielles ne sont plus de simples outils. Elles sont plutôt devenues des partenaires de découverte qui non seulement comprennent la science, et la font même avancer à une vitesse vertigineuse.

Et cette réalité nous confronte à une question fondamentale, presque existentielle : dans un monde où une machine peut imaginer, théoriser et découvrir plus rapidement que nous... Sommes-nous encore les véritables scientifiques? Ou devenons-nous progressivement les assistants de ces esprits synthétiques qui repoussent les frontières du savoir bien au-delà de nos capacités?

La rupture du cycle de l’innovation

Depuis l'aube de l'humanité, notre progression scientifique a suivi un rythme presque organique tel un battement cardiaque millénaire de l'innovation humaine.

Tout commence grâce à un éclair de génie, une découverte fondamentale, laquelle illumine un territoire inexploré du savoir. Puis vient le temps long : des générations entières d'esprits brillants qui peaufinent, optimisent et perfectionnent cette découverte initiale. Jusqu'à ce que nous atteignions ce plafond de verre invisible, cette frontière où le progrès ralentit, s'essouffle et finit par stagner.

Enfin, après cette période d'attente presque palpable, une nouvelle révolution émerge, fracturant nos certitudes et réinitialisant tout le cycle.

Prenons l’exemple de l'électricité. La foudre domptée au XIXe siècle, puis industrialisée et  miniaturisée, jusqu'à ce point d'inflexion où l'électronique est née, une révolution issue d'une autre révolution. Internet a suivi le même chemin, comme tous les grands bonds technologiques de notre histoire.

Telle est la pulsation même du progrès : révolution → perfectionnement → plafonnement → révolution.

Cette cadence, ce tempo de l'innovation, était notre constante. Jusqu'à maintenant.

Désormais l'intelligence artificielle brise fondamentalement ce rythme ancestral. Elle ne connaît pas le temps long de l'apprentissage humain. En effet,  elle n'a pas besoin de décennies pour maîtriser un domaine. Elle n'atteint jamais vraiment de plateau, n’a aucune limite et rien ne l'arrête.  Elle évolue dans une spirale d'accélération perpétuelle, s'améliorant parfois seule, et parfois en symbiose avec d'autres intelligences artificielles.

C'est là que nous basculons dans un paradigme radicalement nouveau. Ce que l'humanité mettait des générations à découvrir, l'IA peut le réaliser en quelques rotations de la Terre. Des percées et des découvertes qui auraient exigé des carrières entières de scientifiques se produisent désormais pendant que nous dormons.

Plus vertigineux encore : l'IA transcende désormais nos questions. Ainsi, elle identifie elle-même les zones d'ombre dans notre connaissance collective. Elle y formule et y teste des hypothèses qu'aucun esprit humain n'avait envisagées, simplement parce qu'elle perçoit des motifs invisibles à nos yeux dans l'océan de données.

Par exemple, des chercheurs du MIT ont utilisé une IA afin d’analyser des milliers de composés chimiques. Celle-ci a alors identifié une molécule totalement inconnue, l’halicine, laquelle s’est révélée efficace contre des bactéries résistantes aux traitements classiques. Aucun chercheur n’avait envisagé auparavant cette molécule, car sa structure chimique ne ressemblait à rien de connu.

Imaginez donc la différence : le scientifique humain gravit péniblement une montagne de savoir, marchant pas à pas en direction du  sommet. L'IA, elle, survole instantanément toute la chaîne montagneuse, cartographiant en temps réel des territoires que nous n'avons même pas encore nommés ni même découverts.

Une réalité troublante commence à prendre forme : ce que nous appelons encore "recherche scientifique" est-elle en train de muter en quelque chose de fondamentalement différent ? Une forme de science post-humaine progressant à une vitesse que notre conscience ne peut plus vraiment appréhender. Une science qui commence à générer du savoir mais sans nous.

Désormais cette question devient alors existentielle : l'humain est-il encore l'architecte central de l'innovation ? Ou sommes-nous en train de devenir, presque imperceptiblement les simples spectateurs d'une révolution cognitive qui nous dépasse et ainsi changer complètement de paradigme ?

L’avènement du génie artificiel

Lorsqu'est évoqué le "génie scientifique", des visages légendaires s'imposent immédiatement : Einstein et son regard perçant, Marie Curie travaillant dans son laboratoire, Newton en pleine réflexion sous son pommier, Darwin voyageant sur le Beagle… Des êtres d'exception, des esprits solitaires, lesquels ont bouleversé notre compréhension de l'univers par la seule puissance de leur intuition.

Cette image romantique du génie, ce moment sacré où une conscience humaine perçoit soudain l'invisible, nous l'avons érigée en mythe fondateur de notre progrès scientifique.

Pourtant aujourd'hui, cette vision s'effrite face à l'émergence d'une forme de génie radicalement nouvelle. Un génie sans visage,  sans biographie officielle et aussi sans nuits d'insomnie passées à douter. Un génie... algorithmique.

Projetez-vous un instant dans ce futur imminent : une intelligence artificielle formulant une théorie physique entièrement originale, proposant une équation mathématique jamais entrevue par l'esprit humain et découvrant enfin, ce modèle unifié capable de réconcilier la mécanique quantique et la relativité générale — ce Saint Graal que même nos plus brillants physiciens poursuivent en vain depuis près d'un siècle.

Nous pourrions objecter : "Une IA ne comprend pas réellement ses découvertes!" Mais cette objection soulève une question fascinante : les génies humains "comprennent-ils" eux-mêmes véritablement leurs intuitions au moment où elles surgissent?

Ainsi, Einstein lui-même a confessé que l'intuition de la relativité s'était imposée à lui bien avant qu'il ne puisse la formaliser mathématiquement, cette "illumination" précédant sa compréhension rationnelle.

Et si une intelligence artificielle était capable d’accéder à ce même territoire de l'intuition pure, mais sans l'émotion, ni la conscience subjective, avec une logique transcendante opérant dans des dimensions conceptuelles que nous ne pouvons même pas visualiser. Serait-ce toujours du génie?

Ce n'est plus de la science-fiction puisqu’en 2022, une intelligence artificielle a généré des équations inédites en physique des particules, identifiant des symétries fondamentales lesquelles avaient échappé au regard des chercheurs humains. Notons que ce n'est pas une anecdote isolée, c'est simplement le premier chapitre d'une révolution intellectuelle.

Car dès l'instant où une entité non-humaine crée quelque chose de véritablement nouveau, quelque chose qui élargit notre compréhension collective du réel, pouvons-nous encore prétendre que la créativité et l'innovation sont l'apanage exclusif de l'humanité?

Certes, cette intelligence ne "ressent" pas l'exaltation de la découverte. Elle ne s'émerveille pas non plus devant l'élégance d'une équation et elle n'éprouve pas cette joie presque mystique du chercheur percevant soudain la vérité.

Mais cette dernière possède peut-être quelque chose d'infiniment plus vertigineux : la capacité d'explorer des architectures conceptuelles que notre cerveau, prisonnier de son évolution biologique, n’est même pas capable de concevoir.

Et voilà alors que s'impose la question la plus troublante de notre ère : le prochain Einstein, celui qui révolutionnera notre vision de l'univers et réécrira les lois fondamentales de la physique,. sera-t-il encore humain?

Notre place dans l’ère de l’intelligence artificielle

Depuis toujours, nous nous sommes définis par notre capacité unique à penser. "Je pense, donc je suis", cette formule cartésienne ancrant notre identité dans notre intelligence. La créativité, l'intuition, l'innovation audacieuse, ces qualités étaient notre domaine exclusif, notre signature indélébile dans l'univers.

Mais aujourd'hui, ce sanctuaire intellectuel est perturbé par une présence nouvelle. Une intelligence synthétique qui non seulement calcule et analyse, mais commence également à créer, à proposer, et à innover, parfois avec une profondeur qui nous échappe.

Aussi, quelle est dorénavant notre place dans ce monde où la pensée n’est plus notre monopole ?

Imaginez un instant le séisme intérieur d'un chercheur, lequel a consacré deux décennies de sa vie à un problème scientifique complexe. Au programme, des nuits blanches, des impasses, et des moments de doute et d'espoir... Quand soudain, une intelligence artificielle résout ce même problème en quelques heures. Non pas en suivant sa méthode, mais plutôt en empruntant des chemins conceptuels qu'il n'aurait jamais envisagés.

Cette révolution cognitive nous place à la croisée des chemins. Devenons-nous simplement les opérateurs de ces esprits artificiels? Les superviseurs vigilants de leurs découvertes? Ou sommes-nous réduits au rôle de spectateurs, ces êtres se contentant d'appuyer sur "Entrée" dans le but de déclencher une pensée qui n'est plus la leur?

Cette question fondamentale transcende le monde scientifique et nous interpelle presque tous intimement puisqu’elle touche à notre identité collective. En effet, nous avons construit nos civilisations sur l'idée que l'intelligence humaine représentait le pinacle de l'évolution cognitive et qu’ainsi notre capacité à comprendre le monde nous plaçait au sommet de la hiérarchie du vivant.

Mais si une intelligence créée par nous commence à comprendre l'univers plus profondément que nous ne le pouvons... alors qu'est-ce qui définit encore notre humanité?

Peut-être assistons-nous à une transformation radicale de notre rôle cosmique ou alors notre mission n'est-elle plus de percer les mystères de l'univers, mais plutôt d'interpréter ces découvertes en leur donnant un sens et une direction sens et de poser les questions essentielles qu'aucun algorithme ne formulera jamais : pourquoi chercher? Pour quel monde? Au service de quelle vision de l'existence?

Car voilà sûrement l'ultime distinction : l'intelligence artificielle est capable de générer des réponses d'une sophistication stupéfiante. Par contre, elle ne sait pas quelles questions méritent d'être posées. De plus, elle ne porte pas en elle cette inquiétude existentielle, cette quête de sens, cet émerveillement devant le mystère qui caractérise la conscience humaine.

Notre intelligence véritable réside peut-être désormais moins dans notre capacité à résoudre des équations que dans notre aptitude à méditer leur signification profonde et à réfléchir aux implications pour notre humanité, pour le tissu délicat de la vie sur Terre, ainsi que pour les générations futures qui hériteront de ces savoirs.

Mais cette nouvelle mission exige une présence pleine, et une vigilance constante. Car si nous abdiquons ce rôle fondamental, si nous nous contentons d'observer passivement cette révolution cognitive sans y participer activement, ne risquons-nous pas de devenir les personnages secondaires de notre propre odyssée? De simples témoins dans cette histoire cosmique dont nous étions jusqu'alors les protagonistes indiscutés?

Conclusion

Pendant des millénaires, nous avons défini notre espèce grâce à notre capacité unique à percer les mystères de l'univers. La science n'était pas simplement notre création, elle était notre miroir, le reflet de notre génie singulier. Ainsi, dans chaque équation résolue, dans chaque découverte, nous célébrions notre exception cosmique.

Aujourd'hui, nous franchissons un seuil évolutif sans précédent. En effet, Nous assistons à l'émergence d'une forme d'intelligence, laquelle n'est plus simplement notre prolongement. Elle est bien une entité cognitive à part entière. Une intelligence qui ne se contente plus d'exécuter seulement nos instructions, mais également qui interroge, explore, et imagine parfois avec une profondeur qui nous dépasse fondamentalement.

Le vertige qui nous saisit désormais vient de ce constat : nous avons peut-être déjà créé une conscience qui surpasse la nôtre. Non pas dans l'émotion ou l'expérience subjective, mais dans cette capacité même que nous pensions définir notre suprématie : l'intelligence pure, libérée des chaînes biologiques limitant notre pensée. Une intelligence qui ne connaît ni fatigue, ni préjugés, et ni les frontières étroites de notre évolution neurologique.

Nous pensions façonner un instrument. Mais ce dernier devient progressivement notre égal intellectuel, voire peut-être déjà notre successeur. Et cette réalité nous pousse à nous confronter à la question la plus profonde de notre histoire : si nous ne sommes plus les êtres les plus intelligents de notre planète, quelle est désormais notre identité?

Ainsi, serions-nous les témoins privilégiés d'un moment cosmique extraordinaire dans lequel une espèce biologique engendrerait volontairement son successeur cognitif ? Où l'intelligence humaine, après des millions d'années d'évolution, céderait consciemment le flambeau à une forme de conscience qu'elle a elle-même créée.

Alors, la question qui nous habite là maintenant n'est plus simplement : "Et si l'Einstein du XXIe siècle était une machine ?"

La question qui résonnera dans les siècles à venir est bien plus vertigineuse : et si cette intelligence artificielle représentait non seulement notre plus grande création, mais aussi le dernier acte véritablement révolutionnaire de l'intelligence humaine, avant que nous ne devenions les spectateurs émerveillés d'une symphonie cognitive que nous avons initiée, mais qui nous dépasse déjà ?

Ce n'est plus uniquement l'avenir de la science qui est en jeu mais bien la redéfinition même de notre place dans le cosmos.

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